***Oubliez le vieux quotidien des affaires sur papier. Sous la houlette de Rupert Murdoch, le
« WSJ » se transforme en machine de guerre de l'information en temps réel.
Pour relever le défi numérique, la rédaction a changé sa méthode de travail. Plongée dans la « news room », le coeur du réacteur
Not just Wall Street. Every street » (Pas seulement Wall Street, toutes les rues). Le slogan s'affiche sur tous les trottoirs de Manhattan, sous forme d'affichettes collées sur les grosses boîtes où est distribué le « New York Times ». Un défi, presque une provocation, à la hauteur de la concurrence féroce, totale, qui oppose le « Times » au « Wall Street Journal ». Ce dernier a lancé au printemps un nouveau cahier d'informations locales, « Greater New York », pour affronter encore plus directement son rival. Et pour marquer le coup, le « Journal » s'est même offert une gigantesque affiche vantant son supplément et installée… juste en face du siège du « Times ». Cet accent mis sur l'information locale - le « Journal » a même mis en place un partenariat avec Foursquare, la nouvelle star des réseaux sociaux, basé sur la géolocalisation -, est l'un des symboles du tournant généraliste pris par l'un des principaux quotidiens au monde (plus de 2 millions d'exemplaires vendus chaque jour, 22 millions de visiteurs uniques par mois sur son site Internet). Un tournant qui s'est accéléré depuis son rachat en juillet 2007 par News Corp., le groupe de Rupert Murdoch.
C'est peu dire que son nouveau patron d'origine australienne a passablement bousculé la vieille maison. Il l'a notamment installée l'an dernier dans l'immeuble de News Corp., situé à deux pas des théâtres de Broadway et de la gare de Grand Central, au coeur de Manhattan. Le « Journal », qui y côtoie la très conservatrice chaîne d'info Fox News, a pris ses quartiers aux 5 e et 6 e étages avec sa cohorte de sociétés soeurs (l'agence Dow Jones, les magazines « Barron's », « Market Watch »…). Deux étages ultramodernes où les écrans sont omniprésents, géants à la réception, doubles ou triples sur chaque bureau, collés sur les murs, voire pendant du plafond. Tous diffusent en permanence la chaîne maison, les fils de dépêches maison, les sites maison, mais aussi les concurrents.
Ici règne en maîtresse absolue l'information dans sa nouvelle dimension, imposée par la technologie : le temps réel. Tous les journalistes présents sont en prise directe et permanente avec une multitude de flux que cette énorme organisation s'efforce de digérer, maîtriser, hiérarchiser, mettre en forme et délivrer à ses clients, les entreprises comme les particuliers, lecteurs ou internautes. Le temps réel est devenu l'étalon or, l'unité de mesure autour de laquelle tout ou presque s'organise. Au sein de l'organigramme du « Journal », un nouveau poste va apparaître d'ici à la fin de l'année : les « real time deputies » qui, au sein de chaque service, auront pour charge de surveiller les fils d'agences de presse, d'alerter la rédaction et d'organiser la prise en main de toute nouvelle « info », en liaison étroite avec les équipes de Dow Jones Newswire. Sous la houlette de Robert Thompson, un Australien lui aussi, venu du « Times » de Londres et nommé par Murdoch à la tête de la rédaction du « Wall Street Journal », c'est une véritable machine de guerre qui se met en place. Une machine dont le moteur est le hub.
Le hub, c'est le nouveau centre nerveux du journal, « the brain of the organisation » (le cerveau), comme le qualifie Jim Pensiero, l'un des adjoints de Robert Thomson, un vétéran de la presse et du « Wall Street Journal », qui a été chargé de repenser les méthodes de travail de la rédaction. On y trouve tout au plus une vingtaine de postes de travail, tous dotés des deux écrans minimaux, où se retrouvent à divers moments de la journée les pilotes de la machine, à portée d'oeil de Robert Thomson. Installé dans un bureau tout en longueur et vitré, le patron voit tout et tout le monde le voit. Le cerveau fonctionne quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme le « Wall Street Journal » qui, avec ses trois éditions (Asie, Europe, Amérique), son site multicontinental, son iPad, ses versions mobiles et ses multiples déclinaisons, alimente minute après minute ses lecteurs, avec une préférence marquée pour les abonnés et les supports électroniques : « C'est là qu'est la croissance », explique-t-on en interne. « You fish where the fish are… (on pêche là où il y a du poisson). » Et dans le bocal, la vie ne s'arrête jamais.
7 heures. Les premiers éditeurs prennent les commandes du « .com », le site Internet, en alimentant et rafraîchissant la page d'accueil. Ils sont déjà en contact direct et permanent avec les bureaux de Hong Kong et Londres, où sont basées les éditions Asie et Europe du « Journal ». Ils seront évidemment plusieurs à se relayer tout au long de la journée. Le « Wall Street Journal » va bien au-delà de son champ traditionnel, les entreprises et les marchés, même s'ils restent au coeur de son offre. S'il se frotte depuis peu à l'information locale, c'est désormais un quotidien global, traitant de façon extensive l'actualité politique nationale (l'administration Obama, la vie politique, la marée noire…) et internationale (la guerre en Afghanistan, le nucléaire iranien, les élections en Amérique du Sud…), les faits de société, la culture, les loisirs et même le sport. Récemment, il fut, par exemple, en pointe par ses enquêtes autour du dopage dans le cyclisme en général et de Lance Armstrong en particulier. Et, preuve de son grand angle, la Coupe du monde y a été traitée en long et en large. Une page entière a même été consacrée à l'arrivée de Thierry Henry aux New York Red Bulls…
Pour couvrir tous ces secteurs, tous ces pays, le recours aux outils collaboratifs est crucial. Au hub, à New York et dans l'ensemble des bureaux du « Journal » dans le monde, on est en permanence branché sur les mails, la messagerie, les « chat rooms » internes, les conversations audio ou vidéo. Difficile, sinon, de gérer une telle organisation (670 journalistes pour le « WSJ », dont une cinquantaine en Asie et une quarantaine en Europe, 800 environ pour Dow Jones, près de 1.000 pour « Barron's », « Market Watch », le « Sunday Journal », etc.) et de la faire travailler collectivement.
8 h 30. L'équipe de « The News Hub », un journal vidéo biquotidien inauguré en septembre dernier, s'installe dans le ministudio installé au bord du hub, un pupitre et des caméras pour un programme de huit minutes dans lequel interviennent, souvent via Skype, les correspondants du « Journal » à Washington et partout ailleurs dans le pays et dans le monde. « The News Hub » est diffusé uniquement en direct et en différé sur l'iPad et sur le site. Kelly Williams, la présentatrice du programme depuis sa création, est aussi chroniqueuse au « Journal », tout comme la plupart des intervenants, chaque jour différents mais presque tous membres de la rédaction. Le symbole ultime de l'« intégration », la règle maison décrétée par Robert Thomson : la rédaction du « Journal » doit pouvoir contribuer à n'importe quelle activité de l'ensemble, selon ses disponibilités, ses capacités et ses appétences. Bien entendu, les résistances existent, des prés carrés persistent et, entre entités, la concurrence est là, certes moins féroce qu'avec l'extérieur mais toujours présente. Cependant, chacun doit se soumettre à la règle d'or : un scoop, de quelque origine qu'il soit, doit immé-diatement être délivré sur le fil Dow Jones, là où sont les clients les plus précieux - les meilleurs poissons… -, avant de s'afficher rapidement sur le « .com » et l'iPad, temps réel oblige, puis de nourrir le papier.
La matinée avance. Le journal télévisé est à peine bouclé que le hub se remplit, au gré des arrivées et des impératifs de la machine. Car l'édition Asie est en passe d'être bouclée, l'édition Europe se fabrique et alimente déjà le site et l'édition américaine se prépare.
10 heures. C'est le moment de la conférence de rédaction où chacun arrive avec le menu du jour : les principaux articles programmés pour la journée et la place qu'ils occupent dans les différentes éditions papier et en ligne. Dans cette conférence dense et précise, on discute des angles, on corrige certains choix en fonction des horaires de bouclage ou des choix des internautes dans la nuit et la matinée, on échange par audioconférence avec le chef du bureau de Washington, de Londres ou de la côte Ouest.
16 heures. Bientôt la conférence de rédaction de l'après-midi. Dans le hub, l'activité monte d'un cran. Les éditeurs du « online » actualisent en permanence le site, en y injectant notamment les informations de l'édition Europe et les premiers articles de l'édition américaine. La rédactrice en chef de « Dow Jones » s'y installe, délaissant son propre bureau pour être en prise directe avec l'équipe du « .com » et la rédaction du « Journal ». Les chefs de service y passent régulièrement. Arrive la conférence de rédaction où se font les derniers arbitrages et les choix de une de l'édition américaine, pendant qu'à la même heure a lieu la deuxième édition de « The News Hub », le journal vidéo. Le hub devient une ruche : les chefs de service s'y installent à leur tour physiquement jusqu'au bouclage, pour échanger encore plus directement entre eux et avec les pilotes de l'édition électronique, des maquettistes les y rejoignent, tout comme des infographistes et des iconographes. Le « brain » tourne à plein régime.
Tout en relisant la copie et les pages, en surveillant les fils de dépêches, chacun jette des coups d'oeil fréquents à l'impressionnante galerie d'écrans qui entoure le hub. Ils diffusent les images des principales chaînes d'info télé, Fox News et ses rivales. Y apparaissent aussi les « home pages » des principaux sites d'infos, Wsj.com, « New York Times » et les autres. Et sur un panneau géant, le « chemin de fer » du journal, toutes les pages de l'édition du jour, s'actualise au fur et à mesure : si l'info en temps réel rythme désormais la vie d'un média comme le « Wall Street Journal », l'ancestrale course contre la montre du bouclage de l'édition papier n'a pas pour autant disparu.
En début de soirée, quand les dernières pages et la une du journal ont été envoyées, la tension retombe, même si sur Internet comme sur l'iPad, l'information ne dort jamais. Les éditeurs du soir restent actifs et attentifs, d'autant que de l'autre côté du Pacifique, à Hong Kong, Shanghai, Pékin ou Tokyo, l'actualité bat déjà son plein.
22 heures. L'équipe de New York passera les commandes du site à celle de Hong Kong, qui les transmettra ensuite à celle de Londres. Une nouvelle journée d'info commence dans le monde, alors qu'elle s'achève à peine à Manhattan. Une nouvelle journée pour le « Wall Street Journal », média de la mondialisation, durant laquelle cette immense rédaction va enquêter, informer - et souvent révéler -dans des conditions et un environnement qui ont tellement changé en quelques années, pour le meilleur selon certains, pour le pire selon d'autres. Sous l'impulsion de Rupert Murdoch, le « Wall Street Journal », lui, n'a de cesse de se réinventer et d'évoluer. Ici, le mot d'ordre est : « Change or die. » Change ou meurs…
Bien à vous,
Morgane BRAVO
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